Réflexions sur l'escrime

Tout au long des siècles, de duels en assauts, de rapières en fleuret, de bretteurs en tireurs, l'escrime s'est fixée des codes d'honneur. Il est certain que les gueux qui ferraillaient dans l'ombre du capitaine Fracasse, ne s'embarrassaient pas de saluts, armes levées ; l'odeur de la mort les escortait. Mais on saura que des centaines d'années plus tard la même férocité peut animer les combattants pour une petite lumière à allumer.

L'escrime est de tous les sports celui qui vient des temps les plus reculés, là où elle n'était qu'un moyen de survie.

L'escrime est un excellent moyen de connaissance de soi. Car la vieille école a été modifiée. Avant l'élève s'en remettait trop à son maître. La phase mécanique était poussée à fond. Mais nous sommes en plein renouveau pédagogique.

L'élève doit aller plus loin dans ses propres sensations tout en passant par les gestes de base à répéter. Car le plus délicat dans l'apprentissage de l'escrime, c'est le phénomène de perception. La partie la plus importante du tireur se tient à un mètre de la main.

Dans un premier temps il faut apprendre à maîtriser son corps, mais le plus difficile consiste à sentir la pointe. C'est très subtil et difficile à acquérir : la sensibilité du corps se prolonge un mètre plus loin. Les gosses qui viennent à l'escrime pour se défouler ne durent pas longtemps. Car ce sport est un exercice de contrôle, une discipline par laquelle on doit passer pour assimiler l'essentiel.

L'esprit de caste est révolu, ce sport est ouvert à tous.

Les parents voient toujours dans l'escrime un facteur important d'épanouissement de leurs enfants. Les réflexions classiques sont : Il prend confiance en lui, il est plus vif.

Mieux se connaître par l'escrime, élargir le champ de ses sensations, ce sont les premiers effets.

Chacun a la possibilité de développer tout ce qu'il y a en lui de bon ou de mauvais. Le jeune escrimeur ressort de ce voyage au coeur de lui-même avec de multiples points de repère.

Par la suite, dès les premiers assauts sérieux, il va constater que l'escrime est un jeu très subtil du corps et de l'esprit. La connaissance de soi ne suffit plus alors ; il faut se lancer dans celle de l'autre. La recherche est fine et, plus que partout ailleurs, elle s'opère par petites touches.

Un assaut, c'est essayer de battre quelqu'un sans se laisser emporter par une impulsion aveugle. Les premiers instants servent à étudier les points forts et les points faibles. L'escrime c'est une étude de la sensibilité.

L'escrimeur ne dépend pas des autres, mais il essaye de mieux les connaître avant d'agir. Ainsi, il doit faire attention à tout ce qui l'entoure, l'adversaire, l'arbitre. Il s'agit donc de la phase d'adaptation. Ensuite, on passe à celle qui est la plus importante : l'anticipation. Car il est capital de sentir I' autre. L'escrimeur ne durera pas s'il ne sait pas juger l'adversaire.

Le tireur très fort, c'est celui qui anticipe pour marquer le temps d'avance.

On peut commencer une compétition en ayant l'impression de coller à l'adversaire. Parfois, d'un tour à l'autre, en quelques heures, on ne le sent plus. C'en est fini de l'anticipation qui consiste à choisir le moment juste avec un temps d'avance.

Le profane est toujours fortement intrigué par les cris qui ponctuent les assauts et les gestes nerveux de l'escrimeur dont le fil à la patte pourront laisser penser qu’il est branché sur haute tension.

Il arrive à douter de l'utilité de ces démonstrations, au point de penser que les escrimeurs, tels certains comédiens, « en font trop ».

Quand on est sur la piste, l'action passe par trois situations :

    • Celle qui précède la touche et repose sur l'attention, l'observation. La dépense nerveuse est grande
    • Ensuite, c'est l'assaut, un effort physique violent. Comme il s'agit d'une explosion de tout son être, le cri vient souvent tout seul
    • L'escrimeur a tellement rassemblé d'énergie, qu'il éprouve le besoin de se vider. Il se peut qu'une part de comédie entre en ligne de compte chez certains, en particulier les Italiens, mais c'est de moins en moins courant au fleuret et à l'épée, car la signalisation électrique s'opère et une seule personne, l'arbitre, décide de tout. Car la comédie, ici, sert à influencer. C' était plus facile autrefois car il n'y avait pas de signalisation électrique. L'arbitre était aidé par quatre personnes, les assesseurs. Justement, la plus grosse menace que supporte l’escrime, c'est l'arbitrage. Il y a des conventions si fines que les risques d'erreurs sont grands. Par exemple, un bruit plus ou moins fort à l'assaut peut faire la différence.

De cette étude des autres et de soi, de cette dépense sourde et violente, débouchent des être intelligents. On n'imagine pas un sot champion d'escrime. Au même titre que les échecs, dont il possède certaines caractéristiques, il est le sport de l'esprit.

Chez les escrimeurs, il y a tous les tempéraments. On peut être sur la piste comme on est dans la vie, ou tout à fait différent. Il y a les râleurs, les assoupis. Ce qui fait la force de l'escrimeur, c'est qu'il baigne dans une atmosphère pure. Il fait partie d'une famille réduite. Car on ne pénètre pas facilement dans l'escrime, Si on reste en surface, tout échappe. L'escrime gardera toujours un caractère d'intimité.

Je ne veux pas faire passer l'escrimeur pour un être supérieur. Au départ, il a toujours fait de bonnes études, ce qui lui permet une plus grande réflexion. Il n'est pas obligé, comme d'autres sportifs, de s'imposer une trop grande discipline.

Il peut être un homme (une femme) charmant(e) dans la vie et devenir une brute sur une piste. Car, dans l'assaut, on est au bord de la perte de soi.

Il faut donc être méchant mais, constamment, jusqu'au moment décisif de l'attaque ou de la riposte, il convient de garder cette maîtrise, cette lucidité indispensable.

En tout, il faut savoir viser juste et établir cet équilibre entre l'attente et la détente.

En fonction de ces exigences, je crois que l'escrimeur est moins vulnérable que d'autres sportifs. Il acquiert un maintien, une attitude devant la vie, face à toutes les situations. Et c'est probablement dans cette attitude que l'on trouve la qualité fondamentale de l’escrimeur.

En fonction de tout cela, je ne pense pas qu'il y ait un jour un escrimeur-robot. Car vous pouvez mécaniser à fond un escrimeur, il arrivera toujours un moment où il sera battu par quelqu'un qui réfléchit.

Michel Fontanella